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Jean-Pierre Petit

Un autre regard sur l’Allemagne

Ma première expérience du SCI se situe dans le contexte de l’après-guerre. J’ai été assez choqué parce que mon père, fonctionnaire à la Préfecture, a failli être fusillé par les Allemands lorsque j’avais 14 ans. Il ne s’est finalement rien passé, mais ça m’avait marqué et je haïssais les Allemands (par ailleurs, la maison familiale avait été détruite par un bombardement). Quelques années plus tard, j’ai voulu avoir le courage d’aller en Allemagne pour voir la réalité du pays. J’ai pris contact avec un Bureau d’Information, ancêtre du l’Office franco-allemand de la Jeunesse. Je suis allé à Offenburg, où l’on faisait des sortes de chantiers : une équipe de jeunes Français avec des Allemands qui venaient d’être chassés de la partie de la Pologne antérieurement annexée par l’Allemagne (ligne Oder-Neisse). Ils étaient dans des baraquements à Hambourg, C’était en été 1955. Deux choses m’ont frappé:  on fréquentait des dockers, car c’était leur quartier. Et ils nous ont dit beaucoup de bien de Hitler. C’était une surprise, parce que c’étaient de braves types, chez qui on était invités à manger. Nous avons un peu mieux compris comment Hitler avait pu avoir une telle emprise sur la population allemande, chez des gens qui n’étaient pas méchants.
Mais ce premier chantier était trop court et j’avais envie d’en faire plus. Je suis allé voir Etienne Reclus au SCI et il m’a envoyé faire un autre chantier. Ce qui m’a amené, ce n’était pas une recherche fondamentale sur les objectifs du SCI ; j’avais envie d’aller en Allemagne pour des raisons personnelles. Le chantier était à Mannheim et durait trois semaines, avec une majorité de volontaires allemands; il s’agissait de construire un jardin d’enfants pour les ouvriers de Volkswagen, ce qui n’était pas dur. Nous avons été très bien reçus et invités par la ville plusieurs fois dans la grande salle des concerts.
C’était pour moi un nouveau regard sur l’Allemagne. Je me souviens d’avoir vu à Mannheim le monument aux morts de la Permière Guerre, d’avoir été impressionné par le nombre de noms y figurant et d’avoir pensé : nous avons les mêmes en France. J’ai été touché et frappé par l’absurdité de la guerre. J’ai aussi découvert quelques raisons qui pouvaient expliquer l’attrait de Hitler: les gens étaient contents d’avoir eu un emploi, un logement et pensaient que c’était grâce lui. Pourtant, ils devaient tout savoir sur ce qu’Hitler avait fait. Tout cela faisait réfléchir et il y avait des discussions Premiers contacts avec les Algériens Ensuite, il y a eu un trou de plusieurs années (1955 à 1959) dans mon engagement avec le SCI. J’ai commencé à travailler, en dehors du SCI avec la CIMADE, sur les projets concernant les Algériens condamnés dans la Région parisienne (certains pour appartenance au FLN), qui étaient interdits de séjour dans le département et envoyés systématiquement en province. La CIMADE m’a demandé de remplacer dans le bassin du Creusot pendant un an un prêtre qui accueillait ces Algériens. Le prêtre m’a présenté un Algérien, responsable CFTC de Schneider au Creusot et (je m’en suis aperçu ensuite) également le responsable du FLN pour le secteur. Je me suis donc trouvé avec le FLN. Avec eux, nous avons reçu des gens envoyés par la CIMADE qui étaient interdits de séjour dans la région parisienne et on les plaçait chez Schneider grâce à ces Algériens. J’étais volontaire. Je suivais également d’anciens mineurs de la région (Montchanin).
Schneider était la seule entreprise qui marchait encore. Il y avait une misère épouvantable chez les Algériens; nous leur donnions des paniers de nourriture paroissiaux, car certains n’avaient rien à manger. J’ai ainsi travaillé un an et, simultanément, avec le SCI, j’ai été chargé par le Comité de garder le contact avec Monique Hervo au bidonville de Nanterre. C’était en 1958-59 ; j’allais tous les mois à Nanterre voir Monique. Nous étions libres d’avoir des relations avec le FLN à titre personnel, mais non au nom du SCI. Il y avait des réticences de la branche française, mais nous étions soutenus par le président, Henri Roser.
C’est à partir de là que mon travail au SCI a commencé, car Ralph Hegnauer, Secrétaire international était au courant de cette situation. Et quand, à l’Indépendance en 1962, il a fallu envoyer un délégué en Algérie dans la région de Tlemcen, c’est à moi que le SCI s’est adressé. Je suis arrivé fin août 1962.
J’avais donc connu beaucoup d’Algériens, mais ceux que j’avais connus en France et ceux que je rencontrais en Algérie étaient différents : comportement, attitudes politiques, famille. En travaillant beaucoup avec les Algériens en France, il m’est souvent arrivé, lorsque j’allais voir des familles, de passer après le collecteur de fonds du FLN. Je faisais semblant de ne rien voir, mais les familles parlaient volontiers et je n’en ai connu aucune qui ait versé de gaieté de coeur au FLN. Elles étaient pauvres et leurs sentiments vis-à-vis du FLN étaient beaucoup plus mitigés qu’en Algérie.

Pionniers de la reconstruction de l’Algérie

Le Préfet de Tlemcen avait hérité d’une situation très difficile parce que plus de 20 000 personnes de sa circonscription avaient été chassées par l’Armée française au Maroc après avoir détruit leurs villages, puisque c’était des villages frontaliers et qu’elle ne voulait plus d’habitants à moins d’environ 8 kilomètres de la frontière. Tout avait été rasé et les gens avaient le choix entre être chassés au Maroc et vivre dans des baraquements, où l’on mettait des gens d’origine différente, alors que le sentiment tribal était très fort et que ça se passait mal quand on mélangeait les tribus. Mais on peut penser que la France l’avait fait exprès, pour casser les structures. Ceux qui étaient au Maroc vivaient dans des camps près de la frontière et avaient été pris en charge pendant plusieurs années par le SCI: fournir des tentes, loger, nourrir, apporter l’aide médicale, etc… Mais les volontaires qui avaient fait ce travail étaient usés ; il a fallu les remplacer par une nouvelle équipe qui, sous les ordres du préfet de Tlemcen, était chargée d’assurer le retour de ces populations en Algérie.
Il a d’abord fallu trouver des tentes pour ces quelque 20 000 personnes, les nourrir avec les enfants, leur donner des chaussures, trouver des semences et des moutons pour qu’elles puissent reprendre une activité agricole, etc…Le préfet a divisé la préfecture en trois morceaux : le Nord était confié aux Mennonites américains, le SCI était responsable de la Sous-préfecture de Sebdou jusque dans le désert, une grande superficie, une autre association était chargée du troisième secteur. Il y avait 150 volontaires du SCI : des enseignants, 3 médecins, des sages femmes et des infirmières (on avait la charge entière de la santé) et une quarantaine de volontaires en maçonnerie et charpente pour la reconstruction de 45 maisons qui avaient été rasées par l’armée française. Il y avait des Algériens salariés pour conduire les véhicules. Et les villages qui allaient bénéficier des constructions envoyaient chaque jour 40 hommes pour travailler sur le chantier de construction avec les bénévoles internationaux. Et beaucoup d’autres venaient donner un coup de main ou voir le chantier.
On était 75 à Tlemcen, dont une cinquantaine vivait dans d’anciens baraquements militaires français à Khémis. Je n’y a ai pas vécu, mais j’y allais trois fois par semaine. Nous faisions le ravitaillement avec une Land-Rover. Les autres jours, je visitais les autres postes, où se trouvaient des instituteurs et des infirmiers dans toute la région. Une quarantaine de volontaires reconstruisaient un village.
C’était à 1.500 mètres, il faisait très froid, en hiver il y avait de la neige. On avait de petits poêles à bois, il n’y avait qu’un point d’eau ; les volontaires ont vraiment souffert, mais ils s’en sont sortis (hépatites virales, typhoïde, accident de voiture). Après mon départ, un volontaire a été tué par un toit au cours d’une tempête. Autrement dit, la vie était très difficile, les conditions très dures : tous les ponts avaient sauté, il fallait passer les rivières dans l’oued, il n’y avait pas de téléphone, toutes les lignes avaient sauté. Quand nous sommes arrivés, on dormait évidemment en dortoir et l’on n’avait pas assez de matelas donc on couchait en travers sur les matelas. C’est Ralph Hegnauer, qui avait l’habitude, qui nous a montré comment faire. Par la suite, on a eu un peu plus de moyens et on a pu vivre un peu plus correctement. Avec un Anglais, on couchait sur la terrasse, même si on avait froid l’hiver et trop chaud l’été, mais c’était super. Il n’y avait de douches nulle part ; on se lavait dans des seaux avec l’eau du puits ou de la source dans les villages ou avec des robinets à Tlemcen (aujourd’hui, sur un chantier sans douche, les volontaires partiraient). Il restait un médecin (celui du SCI) pour tout le secteur, soit la moitié d’un département français, plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Pour Tlemcen, je n’ai été délégué que jusqu’à 1963. Mais le projet a duré jusqu’à 1966 et après mon départ, il y a eu quatre autres délégués, plusieurs responsables suisses et Roger Briottet. Ils ont achevé le village et tous les postes occupés par des volontaires du SCI ont été repris par des Algériens. Il ne fallait pas que la population se retrouve sans rien, mais le Préfet a tenu parole et Ralph est venu régulièrement s’assurer qu’il en était bien ainsi.
Si l’on fait le bilan de ce chantier, la situation de cette région était tellement catastrophique que l’on peut dire que le SCI a sauvé des centaines de vies, par la lutte contre la malnutrition et la tuberculose, les vaccinations et un service minimum à l’hôpital. Les relations avec la population étaient excellentes.
Je n’y suis jamais retourné ; j’ai fait autre chose. J’ai été nommé délégué des relations avec le Maghreb. Je suis allé au Maroc où nous avons démarré des activités et en 1966 en Tunisie où j’ai retrouvé Idy Hegnauer et où j’ai été délégué de SCI. J’y allais régulièrement pour un projet concernant les handicapés mentaux.
Parmi les missions que m’avait confiées Ralph Hegnauer, il y avait aussi à reprendre contact avec Mohamed Sahnoun, qui avait été le dernier Secrétaire algérien de la branche algérienne et avait été emprisonné par les Autorités françaises. Je l’ai rencontré avant qu’il ne parte aux Nations Unies, où il avait été envoyé pour préparer l’arrivée de la Délégation algérienne aux Nations Unies. Il m’a dit : « Il n’est pas question de re-démarrer une branche algérienne dans le contexte actuel de l’Algérie ». Il pensait que l’Algérie venant de conquérir son indépendance, forcément avec une connotation nationaliste, elle n’était pas prête à accueillir un organisme international. Et si le nouveau chantier était organisé par le SCI, c’était en tant qu’organisation étrangère et il ne s’agissait pas de la branche algérienne d’une organisation internationale. Je l’ai regretté, parce qu’il y avait tout un noyau d’anciens volontaires qui, souhaitaient, eux, re-démarrer une branche algérienne, mais cela n’a pas été possible.
Trois anciens du SCI avaient été exécutés pendant la guerre et deux autres longuement emprisonnés par les Autorités françaises. D’autres étaient usés et sont rentrés en France au bout de peu de temps après l’Indépendance. Malgré tout, il y a eu deux chantiers organisés par les anciens à la fin de 1962.
En 1967, on a cherché un partenaire algérien avec qui on pourrait travailler, sur le modèle de ce qu’on avait fait au Maroc. On a trouvé une association en train de démarrer, avec les Compagnons Bâtisseurs, qui étaient eux-mêmes dans le sillage des Secrétariats sociaux d’Algérie, créés par un jésuite, qui avaient créé des maisons familiales rurales. C’est dans le cadre de la Fédération algérienne des maisons familiales, qui regroupait ces activités, que s’est créée l’association algérienne, qui s’appelait alors Jeunes Travailleurs Volontaires Algériens (JTVA). Ils ont fait des chantiers, d’abord purement algériens, puis avec les Compagnons Bâtisseurs et des volontaires européens. Puis ils ont accepté de travailler avec le SCI, ce qui continue à ce jour, après une période d’interruption pendant laquelle le Gouvernement avait imposé le regroupement de toutes les associations. Après trois ans, ils ont repris sous le nom de Touiza. Cet organisme a continué à faire des chantiers, même durant la période troublée. En 1976, une autre association s’est créée en Kabylie.
Les relations du SCI avec le Maroc La première phase du travail au Maroc était une sorte de prélude à ce qu’il s’est fait ensuite à Tlemcen.
Le SCI avait une délégation dans la plaine d’Oujda, à laquelle les autorités avaient demandé de prendre en charge les réfugiés d’Algérie (voir CR de Paulette). Je n’étais pas impliqué au départ. Mais il y avait une connexion évidente entre ce travail et celui que nous avons fait en Algérie, où nous avons pris en charge les réfugiés à leur retour. Ma mission au Maroc en 1963 consistait à prendre contact avec des organisations de service volontaire qui démarraient et qu’on ne connaissait pas, pour voir dans quelle mesure il était possible d’engager un travail international avec elles. Nous avions été invités à une réunion entre le Comité de gestion des chantiers en France (Cotravaux) et les associations marocaines. Pendant une semaine, j’ai rencontré des représentants de toutes les associations marocaines et j’ai pris ensuite des contacts individuels avec eux pour établir des relations et organiser des échanges de volontaires à court terme – et éventuellement à long terme.
Ces associations sont nées à partir d’un premier chantier national, intitulé « La Route de l’Unité », dirigé par Mehdi Ben Barka vers 1957-58 pendant un an. C’était une innovation de la part du Maroc.
Le chantier a mobilisé 13 000 jeunes qui se succédés pendant un an et qui ont construit une route de 150 km du nord de Fès au Rif. Près de 10 000 avaient été refusés et les 13 000 résultaient d’une sélection. Ce volontariat était lié à la décolonisation et à l’Indépendance. L’association que j’ai rencontrée en 1963 était très marquée par cette expérience nationale, avec un esprit patriotique et un peu nationaliste. Le progrès que représentaient les nouvelles associations était leur ouverture internationale ; c’est ce qui intéressait le SCI.
Pendant au moins vingt ans, j’ai passé au moins le tiers de l’année au Maghreb. J’y allais en hiver pour préparer les échanges, en été pour visiter les chantiers et souvent en automne pour des évaluations. Il y avait des échanges normaux avec deux grands projets : l’un, un programme national marocain, géré par le ministère de l’Agriculture pour le développement du Rif occidental, qui a suscité une autre mobilisation dans l’esprit de la Route de l’Unité. Pendant deux ans, il a fait appel à des volontaires d’associations, y compris des internationaux. C’était le premier projet de développement, en 1974 environ.
L’armée a considéré qu’il y avait eu des contacts un peu trop étroits entre les volontaires et la population locale, dont elle se méfiait. Alors que le chantier n’était pas sous la responsabilité de l’armée, un colonel a été mis à la tête du projet et nous a autorisé pour une deuxième année à envoyer des volontaires ; l’expérience n’a pas été renouvelée. C’est l’un des grands projets auxquels le SCI était associé et qui était très passionnant. Il n’y a jamais eu de relations avec l’armée.
Il y a eu d’autres projets à moyen terme sur plusieurs années, avec une association nommée « Chantiers Jeunesse Maroc ». Grâce à des fonds belges importants obtenus par la branche belge du SCI, on a pu mobiliser des parents d’élèves des écoles des bidonvilles, notamment à Rabat, pour construire des cantines scolaires. C’étaient des chantiers de week-end, avec des parents d’élèves et des volontaires marocains. Les fonds permettaient de donner un repas aux enfants.
Deux autres programme ont employé des volontaires à long terme à long terme. Le Croissant rouge avait besoin d’infirmiers et d’infirmières et n’avait pas encore d’école de formation. Il a demandé au SCI de mettre à disposition des infirmières, notamment dans les grands bidonvilles de Rabat et de Casablanca. La demande était faite par l’intermédiaire de Chantiers – Jeunesse – Maroc (CJM). Le SCI a donc envoyé des infirmières pendant deux ans dans les bidonvilles de Rabat, jusqu’à la sortie de la première promotion de l’école de formation.
Parallèlement, CJM s’est aperçu que les handicapés mentaux ne pouvaient être accueillis que dans des établissements privés coûteux. D’où l’idée de créer un institut mutualiste s’adressant aux enfants de fonctionnaires, dans des conditions d’égalité absolue vis-à-vis du niveau des parents. Le SCI a envoyé des volontaires pendant quatre ou cinq ans. Une volontaire du SCI a quitté un des centres mutualistes pour fonder avec des Marocains une association marocaine au service des handicapés mentaux, qui fonctionne toujours..
Le développement de ces activités a-t-il posé des questions de principe au SCI ? Au Maroc, il s’agissait de projets internationaux, qui ont été discutés au Comité international. Les opérations auxquelles le SCI participait n’avaient rien à voir avec le pouvoir politique. Les seuls contacts étaient avec le ministère de la Jeunesse et des Sports, qui n’est jamais intervenu.
En revanche, le Conseil oecuménique des Eglises avait proposé au SCI de contribuer à l’aide aux enfants réfugiés du Front Polisario, ce qui a créé des problèmes étant donné la grande sensibilité des Marocains à cette question..
Les volontaires internationaux – à court et long terme – étaient envoyés par toutes les branches européennes du SCI. Parmi les volontaires internationaux, il y avait des filles. Grâce à la Division de la jeunesse de l’Unesco, on a pu faire des échanges entre le Maroc et l’Inde pendant trois années de suite, avec un financement de l’Unesco. Plusieurs Indiens sont venus au Maroc et davantage de Marocains et de Marocaines sont allés en Inde. Il y avait quelques filles marocaines dans les chantiers au Maroc, mais pas en Europe. Alors que les parents hésitaient à laisser leurs filles aller en France, un certain nombre n’ont pas hésité à les laisser aller en Inde. Ces échanges se sont très bien passés, mais ils coûtaient cher et n’ont pu être renouvelés avec le départ de la responsable de l’Unesco.
Il y a eu quelques échanges entre le Maroc et l’Algérie, mais les relations étaient très inégales et souvent difficiles. La frontière était souvent fermée. C’est pourquoi on fait des stages en Charente-Maritime pour que les Algériens et les Marocains se retrouvent. Ils ne se connaissent pas ; beaucoup de Marocains de 30 ans n’ont jamais rencontré d’Algériens et réciproquement. Mais cela se passe très bien.

Permanent au SCI

J’ai été au Comité national de 1959 à 1961 ou 62. Je ne suis pas resté plus longtemps parce que je suis allé au Maghreb et j’ai été Délégué international. J’allais souvent au Secrétariat à Clichy, mais je n’y ai pas logé. Les conditions étaient frugales, mais je n’en ai que de bons souvenirs, car on riait beaucoup. Il y avait des tonnes de matériel dans le grenier, qu’il fallait descendre dans les camionnettes pour chaque chantier, par une échelle de meunier. Un jour, un volontaire faisait le clown et toutes les gamelles se sont répandues par terre.
J’ai été salarié du SCI à partir de 1963 et jusqu’à 1996 ; après 1978, de la branche française, l’International n’ayant plus les moyens. Gerson (voir encadré chapitre 5) était délégué pour l’Afrique de l’Ouest, moi pour l’Afrique du Nord. Gerson a travaillé ensuite à Amnesty à Londres. Depuis sept ou huit ans, je réponds à une demande des Tunisiens qui ont demandé à créer des ateliers de recyclage de papier sur un mode artisanal. J’ai appris à faire du papier, en lisant des livres et en travaillant en Tunisie avec un papetier professionnel. Ce n’est pas très rentable économiquement, mais c’est surtout un moyen psychopédagogique pour des enfants handicapés mentaux. Ce sont des ateliers pour jeunes et enfants. Cette action se situe dans la ligne de celles qui ont été lancées depuis longtemps par Ralph et Idy Hegnauer. Elle a été davantage soutenue au niveau international que celle qu’entreprenait Dorothy en France. Sur ces ateliers de fabrication de papier, on travaille et on vit ensemble, c’est comme un chantier.
Je continue à travailler comme volontaire pour les stages de formation de volontaires qui partent en Asie, en Afrique et en Amérique latine, deux à quatre fois par an, sur les problèmes de développement et l’histoire du SCI. Il y a au total sept ou huit matières. Je note à ce propos que quand je reçois des volontaires pour les préparer à un engagement à long terme, ils me disent qu’ils veulent faire du travail humanitaire. Le SCI, ce n’est pas exactement ça. Néanmoins on peut constater que ces jeunes ont choisi le SCI à partir des valeurs qui lui sont spécifiques. Mais ils ont de la peine à faire le lien entre les chantiers qu’ils rejoignent et les objectifs de l’organisation. Au cours de la période d’évaluation, ils disent avoir été bien préparés avant, mais que rien ne s’est passé après, de sorte qu’ils ne continuent pas à rester en relations avec le SCI. On a longtemps essayé d’obtenir des engagements de plus longue durée, mais sans succès. C’est l’illustration d’une situation plus générale chez les jeunes.
Dans le temps, on disait qu’une association perd en qualité essentielle et idéologique ce qu’elle gagne en structure et en importance numérique. Ce n’est pas le cas actuellement en France, où il n’y a aucun gigantisme, c’est plutôt la peau de chagrin, mais on attache aux problèmes de structure une importance démesurée. Même au niveau international, les problèmes institutionnels ont pris une importance excessive, alors que le mouvement est très faible. Les petites actions que le SCI mène, en dépit de leur faible dimension, sont de vraies actions de paix.
J’y crois toujours. C’est tout, mais c’est suffisant. J’essaye de le partager avec les jeunes, qui comprennent bien ce langage. Peut-être pas tout à fait de la même façon qu’autrefois, mais quand il se passe quelque chose qui se passe dans l’esprit du SCI, dans un mélange de convictions, de races, dans la tolérance pour une action concrète, manuelle autant que possible, qui constitue un service dans une société, c’est un acte de paix strictement dans l’esprit de Pierre Cérésole. C’est d’abord une rencontre, des amitiés se construisent, par exemple entre Français et Maghrébins. Et s’il y avait un conflit grave entre nos pays, je n’imagine pas que ces gens puissent se combattre.