Archives of Service Civil International – Simone Tanner-Chaumet

Simone Tanner-Chaumet

La mémoire de Emil et Simone Tanner-Chaumet

Paul Lafon, Tourtout, 2.Septembre 1962

Voici plus de trois mois, exactement le 25 Mai 1962, nos très bons amis EMIL et SIMONE étaient arrachés à une admirable tâche et une existence exemplaire. Des malheureux perdus dans und détresse aveugle et pour qui la vie n’avait plus aucun sens, or l’usage de la férocité, les ont emenés sous la menace des armes hors de leur domicile. Emile et Simone ne sont plus reparus et sauf miracle tout porte à croire qu’ils ne sont plus de ce monde.

Je n’ai pas voulu jusqu’à ce jour exprimer toute l’affection que nous leur portions, tant nous ne pouvions croire à l’irréparable. Il faut cependant, dés maintenat, que l’on essaie de dire ce pour quoi ils ont vécu, ce pour quoi ils ont affronté tous les dangers. Je vais tracer un cadre. Que d’autres complètent ce que je vais écrire, ce que j’ai appris d’eux.

SIMONE d’abord, c’est elle que j’ai connue en premier lieu, lorsque vers 1951 elle répondit à l’appel du S.C.I. pour occuper une place difficile laissée vacante dans une un chantier de Kabyie. Vie très rude pour ces volontaires, d’où quelques problèmes psychologiques. Simone par son équilibre, sa passion intelligente de bien faire, eut une influence très favorable sur le moral de l’équipe.

D’où venait Simone ?

Née pendant la guerre de 1914-18, elle ne connut jamais son père, tué dans la grande hécatombe. Simone eut sa jeunesse marquée par cet événement, qui affectait sa grande sensibilité. Sa mère se remaria, et une grande affection unit Simone à son père adoptif. Ce père était un homme plein d’enthousiasme, qui n’hésita pas à parcourir le monde, emmenant sa famille (épouse et deux fille) tantôt en Algérie, tantôt aux Antilles (Haïti), et revint en France pour habiter à Cannes. Simone était guidée par la nature généreuse de son père et éprouva une très grande peine lorsque celui-ci mourut, encore jeune.

C’est d’abord à Paris je crois que Simone alla gagner sa vie au services des enfants arriérés ou caractériels, tâche dure entre toutes la vie. La guerre de 1940-44 fut pour elle l’occasion de se dévouer au sauvetage de jeunes juifs qu’avec son amie Jeannine elles hébergèrent et cachèrent de longs mois et même plusieurs années dans une auberge de jeunesses des basses alpes, l’auberge du Fanget, à 1.500 m d’altitude. J’y suis passé cet été en souvenir de Simone. L’auberge est devenue hôtel, mais un vieux berger avait gardé le souvenir vivace de l’épopée de Simone et Jeannine. Les enfants juifs furent sauvés au prix de grandes difficultés.

Mais il y eut d’autre tâches à accomplire, et ce fut l’experience la plus dure pour Simone: faire retrouver une vie normale à de jeunes êtres précocement vieillis dans les camps allemands de concentration. Elle ne put empêcher le massacre de prisonniers allemands par quelques-uns de ces jeunes garçons et en garda un souvenir vraiment horrifié.

Il fallait à Simone se consacre à des tâches où son dévouement ne se situe plus dans l’horreur. C’est alors qu’elle connut le Service Civil International pour lequel son enthousiasme ne cessa jamais de se dépenser: chantiers en Europe, en Angleterre notamment, et einfin chantiers d’Algérie où son immense besoin de témoigner trouva sa mesure.

A cettte époque, le S.C.I. d’Algérie découvrait l’Education de base comme la plus utile champ d’application de son assistance. Simone fut conquise par la nature de cette fraternisation, et décida de s’implanter dans un village isolé de Kabylie, Tikiouach, d’y montrer ce que pouvait faire l’amitié de l’homme pour l’homme. Acceptant la vie matériellement dépouillée des habitants de ce village, leur nourriture des plus frustes, un abri de terre et branchages de la dimension d’une niche, sans connaître la langue du pays, elle se mit à enseigner la lecture et l’écriture, et tout ce qu’elle pouvait enseigner pour les besoins élémentaires de leur existance à des jeunes et adultes avides d’avoir enfin une ” école “, de ne plus être des parias ignorants. A cette tâche elle adjoignit une aide sanitaire bien nécessaire ainsi qu’une aide sociale sur le plan des échanges de correspondence et celui des démarches postales et administratives, sans parler d’incessantes conversations instructives avec les hommes comprenant le français.

Des années durant, à TIKIOUACH puis à IGHIL KHELLIL, recevant quelques maigres subsides des ses amis ( dont Albert Camus parfois ), Simone mena une vie qui peut-être comparée à certaines vies de saints, bien qu’aucune consideration religieuse n’etrât dans sa détermination. On ne peut pas dire qu’elle fut complétement athée. Elle n’avait point reçu d’éducation religieuse mais prétendait n’avoir pu acquérir aucune certitude quant à l’existence ou la non-existance d’un Die. On peut affirmer que ce sont des considérations humaines qui la guidèrent et un idéal placé très haut au service de l’homme. Elle ne pouvait accepter la médiocrité dans les relations humaines et connaissant bien des moyens de faire partager ses sentiments généreux et d’eviter le embûches où l’âme peut s’abaisser.

A bout de forces, ne pouvant parvenir à s’adapter au régime alimentaire du fellah kabyle, Simone voulut se rapprocher de ses amis parmi lesquelles le S.C.I. tenait une grande place.

Et ce fut une nouvelle dure experiènce, celle d’enseigner dans le plus déshérité des bidonsvilles de la région d’Alger, BOUBSILA (dit BERADI), non plus à des kabyles tous heureux de s’instruire et disciplinés dans leurs villages, mais à une sorte de horde désemparée, bruyante, tyrannique, au milieu de laquelle des éléments non contaminés, acharnés à s’instruire valaient que soient subies bien malversations de l part des autres, cherchant distraction, dont il fallait supporter la présence, à l’intérieur de la baraque, ou les grossières et dangereuse taquineries de l’extérieur contre les parois fragiles de cette école pittoresque mais épuisante.

Tout au moins après l’épreuve Simone pouvait-elle prendre contact avec ses amis et même s’occuper du secrétariat du S.C.I.

EMIL Tanner était arrivé de Zurich comme secrétaire de la branche algérienne du S.C.I., après avoir été un excellet responsable de chantier en Italie du sud. Cet ami était un homme très droit, d’idéal très élevé. qui remplit ses fonctions de secrétaire dans des conditions matérielles fort pénibles avec une haute conscience et un rare dévouement.

Les problèmes d’Algérie le passionnèrement, et il eut vite une grande admiration pour celle qui devait être la compagne de son éxperience africaine et à laquelle il devait apporter un solution moral considérable..

Ensemble il organisèrent des chantiers du S.C.I., dont bientôt le grand chantier de 1954 consécutif au tremblement de terre d’Orléansville. Arrivée massive de France de volontaires non éxperimentés peu sélectionnés qu’il faut absorber et adapter aux très complexes particularités algériennes. On y parvenait quand même au moment où éclata la révolte du 1er Novembre 1954. Dés lors le S.C.I. connut des heures difficiles, il fallut bientôt arrêter ce grand chantier, en organiser ailleurs d’autre moins importants, c’est-à-dire faire face à toutes les difficultés politiques et au racisme croissant. Cette tâche exténuante finit par se révéler impossible.

Tout en cherchant malgré tout à maintenir une activité réduite du SCI EMIL et SIMONE conçurent le projet de s’installer en pleine campagne dans la banlieu extrème d’Alger-Ouest, en bordure de BOUZAREA. Dans ce quartier vivaient des Kabyles venus chercher en ville du travail et que la crise de logements obligeait à se construire des “gourbis” loin du centre. Emil et Simone voulurent reprendre là une tâche éducative et sociale, Simone faisant classe tandis qu’Emil reprenant son métier appris en Suisse de tapissier et spécialiste en cuirs songeait à la formation professionnelle si utile pour tant de malheureux voués au demi-chômage et au bas salaires.

Les difficultés dues à l’état de guerre furent importantes.

Il fallut d’abord faire la classe presque clandestinement pour éviter de donner prétexte à une fermeture forcée de l’école qui, aux termes de la loi, aurait dû être autorisée. Il n’était toutefois pas question de demander cette autorisation à des autorités racistes. Dans les dernières années de la guerre, ce risque n’exista plus, le mot d’ordre officiel étant à la scolarisation totale, et Simone n’enseignant qu’aux enfants refusée par l’école communale de Bouzaréa.

Emil avait des difficultés à réaliser ses projets. Etant étranger, habitent loin des clients, sans voiture, sans téléphone, il était dur de percer. il fallut apprendre les secrets de l’élevage des poules et des lapins et trouver l’écoulement de la marchandise. Simone travaillait à mi-temps comme Secrétaire d’une association et s’imposa des année durant de longs trajets pour aller à son travail.

En Juillet 1956, un petit chantier du SCI était ouvert. EMIL se voyait brusquement arrêté devant chez lui sous les yeux de Simone par des gendarmes qui lui mirent les menottes et l’emmenèrent à pied. Gardé et questionné plusieurs jours par la police, il était alors expulsé d’Algérie. Sous quelt prétexte? On ne le sut jamais. il lui suffisait sans doute d’être Suisse et Secrétaire du SCI. Un volontaire anglais débarqué de la veille en Algérie et ignorant tout des problèmes algériens était expulsé en même temps que lui.

Sans perdre son sang-froid, Simone continua seule. Des démarches furent faites par des amis pour faire rapporter l’arrête d’expulsion. Elles aboutirent deux mois plus tard à l’affirmation verbale seulement que cette expulsion était annulée, mais personne ne voulait plus donner à Emil les autorisations nécessaires à son entrée en Algérie. C’est alors qu’Emil, usant d’audace, obtint cette autorisation du Préfet de Masrseille rentré en Algérie, il fut inquiété de nouveau, menacé d’arrestation, mais finalement l’insistance d’amis bien placés aboutit à l’autorisation pour lui, provisoirement, de travailler en Algérie.

Tout au long de la guerre, Emil et Simone, qui auraient pu mener en Suisse une existence confortable sans trop de peine, mirent une véritable obstination à continuer à témoigner dans cette Algérie déchirée en prois au racisme colonialiste le plus effréné.

Il fallut bientôt venir en aide à d’anciens volontaires du SCI emprisonnées pour aide au mouvement nationaliste ou même pour simples gestes humanitaires. C’était l’époque où les procédées inquisitoriaux et la torture devenaient monnaie courante. bien souvent Simone se chargerai de transmettre aux emprisonné ou à leur famille des témoignages de reconnaissance pour les chantiers effectués en Europe la plupart du temps.

Les annéees passaient, les horreurs se multipliaient. Emil et Simone tenaient bon, et même consoldaient leurs activités, acceptant des offres de soutien d’ordre privé. Emil, équipé d’une vieille voiture et d’un téléphone, trouvait plus de travail qu’il pouvait faire. Il avait des projets pour développer ses cours de travail manuel, montait un atelier en maçonnerie après avaoir monté une baraque école en bois.

Le racisme faisait de plus en plus de victimes aveugles, et des européenes libéraux pouvaient être tués par des algériens nationalistes comme des algériens acquis au pouvoir français pouvaient tomber sous les balles des ultras. L’insécurité régnait.

Puis vint la période la plus horrible après que les accords d’Evian et la cessez-le-feu eussent été signés le 18 mars 1962. L’O.A.S. se déchaîna, face au calme déterminé de tout un peuple. Le chomage grandit devant la terreur. Quiconque, étant Algèrien, osait aller à son travail risquait mille fois la mort.

Tout Européen suspect d’antipathie à l’égard de l’O.A.S. risquait aussi la mort.Et c’est ce risque qu’Emil et Simone ne comprirent pas suffisamment ou crurent possible de prendre encore quelques jours.

Trois semaines avant l’arrêt définitif des meurtre ordnnés par l’O.A.S.*, Emil et Simone disparaissant, emmenés par des algériens mercenaires, ce qui est un comble, lorsqu’on pense à tout le bien que ces deux êtres remarquables ont fait matériellement et surtout moralement pour les Algériens.

Je ne peux dire en cet article tout ce que j’admire dans la pensée et l’existence d’Emil et Simone. il faudrait bien des pages pour le dire.

Je souhaite seulement que le sens de leur vie soit mieux et plus longuement exposé pour servir d’édification aux générations qui montent et qui auront elles aussi bien des problèmes à résoudre.

P.L.

* Selon des sources algériennes, le responsable du crime, était un Algérien, qui aurait été exécuté par le FLN, comme “collaborateur” qui aurait voulu effacer ses propres turpitudes en tuant des Européens. Voir aussi le dossier 11203.12 des archives sur S.Chaument et E.Tanner.